Plus de deux millions d’élèves ont récemment fait leur rentrée en Belgique et, parmi eux, de nombreux élèves “dys”. En effet, selon les dernières estimations de l’OMS, entre 8 et 12% de la population mondiale seraient atteints d’un ou plusieurs troubles de l’apprentissage. Aménagements raisonnables, utilisation d’un outil numérique, recours à des moyens de compensation, accompagnement… Il existe heureusement différents moyens permettant à ces élèves d’apprendre plus sereinement à l’école et à la maison.
Nous avons profité d’un entretien avec Geoffroy d’Aspremont, directeur de l’APEDA (l’Association belge pour les Enfants en difficulté d’Apprentissage), pour faire le point sur la question de l’accompagnement des personnes présentant des troubles de l’apprentissage. Depuis plus de 50 ans, l’ASBL lutte pour que les élèves à besoins spécifiques puissent accéder équitablement au système éducatif. Grâce à son pôle d’expertise, sa bibliothèque numérique, son espace d’écoute et d’orientation, l’APEDA offre une aide pluridisciplinaire destinée aux parents, aux enseignant·es et aux thérapeutes.
Bonjour Geoffroy, merci d’avoir accepté cet entretien. Tout d’abord, pourrais-tu nous expliquer brièvement ce que sont les troubles de l’apprentissage, les troubles “dys” ?
Ce sont des troubles neurologiques, et donc permanents, qu’ont certaines personnes et qui affectent leurs capacités d’apprentissage. L’automatisation de l’interprétation de certaines informations ne se fait pas, ce qui implique des difficultés d’apprentissage. Ces personnes vont consacrer plus de temps et d’énergie que d’autres à exécuter des tâches. Elles n’ont donc pas l’opportunité d’utiliser leur intelligence pour réaliser des compétences “supérieures”, comme raisonner, synthétiser, analyser… Il s’agit notamment de la dyslexie, de la dyscalculie, de la dysorthographie, de la dysphasie et de la dyspraxie.
Pourrais-tu nous raconter la création de l’APEDA ?
L’APEDA a été créée en 1965 sous la forme d’une association de parents d’élèves dont le dénominateur commun était la dyslexie. L’objectif était double. D’une part, permettre à ces parents d’échanger sur le sujet et de s’entraider, et, d’autre part, de sensibiliser les pouvoirs publics et le monde de l’enseignement sur la dyslexie à l’école.
L’association a d’abord fonctionné grâce à du volontariat et des dons financiers, pendant une quarantaine d’années. En 2016, l’association évolue en franchissant un cap, celui de la prise en charge du projet NumaBib, en parallèle de ses autres missions.
Tu viens de mentionner le projet NumaBib, en quoi consiste-t-il ?
NumaBib, c’est une bibliothèque en ligne de manuels scolaires en format PDF adapté et qui est destinée aux enfants atteints de troubles dys équipés d’un outil numérique. Cette bibliothèque permet donc à ces élèves d’avoir accès aux informations reprises dans les manuels sous un format qui leur convient.
Pour créer NumaBib, nous avons reproduit le modèle flamand qui existait depuis plusieurs années et l’avons dupliqué pour les manuels scolaires en Belgique francophone. C’est un service gratuit et accessible à tout élève inscrit dans l’enseignement obligatoire francophone présentant un trouble de l’apprentissage.
S’en est suivie la création du pôle d’expertise ?
En 2019, nous avons voulu développer les activités et l’expertise de l’APEDA. Puisque NumaBib nécessitait l’utilisation d’un outil numérique dans le cadre scolaire, il nous semblait évident d’étendre notre expertise à l’utilisation d’outil numérique comme moyen de compensation des troubles dys. On a commencé par proposer un catalogue de formations sur l’utilisation des outils numériques comme moyens de compensation, pour lequel nous avons engagé des thérapeutes, à la fois pour la création de contenu et pour former ensuite.
Vous dispensez également des formations, à qui s’adressent-elles ?
L’APEDA forme des thérapeutes, des enseignant·es et des parents.
Pour les thérapeutes, nous leur expliquons les solutions qui existent et les incitons à les tester eux-mêmes, tant les gratuites que les payantes. Ce sera à eux d’évaluer quel outil est optimal pour tel enfant, en fonction de ses troubles et du budget des parents. L’objectif, c’est que les thérapeutes puissent être capables de rendre un enfant autonome dans sa gestion de l’outil numérique.
Pour les professeurs, la logique est différente. On leur explique comment accueillir en classe un enfant équipé d’un ordinateur, comment utiliser les fonctions d’aide. On va également les sensibiliser en expliquant qu’un moyen de compensation répond à un besoin, n’est pas une source de triche, et les encourager à adapter leurs supports de cours et inclure des aménagements raisonnables pour les évaluations.
Enfin, concernant les parents, on les forme à aider leur enfant dans la gestion et la compréhension de son outil numérique pour permettre un meilleur suivi à la maison.
Quel type d’aide proposez-vous aux parents, en dehors des formations ?
Tout d’abord, il est crucial de rappeler que la question du diagnostic est centrale. Au plus vite, il est posé, au mieux. Il permet de pouvoir entraîner l’enfant plus tôt, de l’éduquer par rapport à son trouble et ensuite de mettre en place les moyens de compensation lorsque c’est nécessaire.
Ensuite, on informe, on oriente, on explique les démarches à réaliser aux parents. On les accompagne dans le choix de l’outil et on veille également à proposer un suivi. Pour certains parents, le diagnostic peut parfois être un choc. Or, leur soutien est un élément clé dans tout le processus. On veille donc à donner des exemples de réussite positifs.
Selon l’APEDA, quelles sont les perspectives positives en matière d’accompagnement des personnes présentant un trouble dys ?
La réforme du Pacte, actuellement en cours, est une bonne nouvelle en ce qui concerne les troubles de l’apprentissage. La création des pôles territoriaux* répond à une logique d’inclusion et non plus à une logique d’intégration. C’est à l’école de s’adapter à l’enfant, plus l’inverse. Ils vont pouvoir guider, outiller et informer les écoles sur l’accompagnement d’enfants ayant des troubles dys, qui ont tout à fait leur place dans l’enseignement ordinaire.
La gestion des troubles dys dépend aussi de la perception que nous en avons. Est-ce que ce changement de perception est en cours ?
Les regards changent positivement sur les personnes ayant des troubles de l’apprentissage, c’est certain. Les personnes dys ont des qualités que les autres n’ont pas toujours. Les troubles d’une personne ne vont pas affecter son intelligence, mais ils vont la forcer à s’adapter et à redoubler d’efforts. Ce sont donc des personnes qui développent tout un tas de compétences supplémentaires comme l’adaptabilité, la créativité ou le volontarisme. Toutes ces qualités font qu’ils ont beaucoup à apporter à la société.
Aurais-tu un livre, une œuvre, un article, un film… qui aborde les troubles dys et que tu voudrais recommander ?
La BD “Dys et célèbres” par Casterman. C’est un livre qui permet de garder espoir et de garder confiance en soi grâce à des exemples positifs. C’est très important de pouvoir conserver et cultiver son estime de soi lorsqu’on a des troubles de l’apprentissage.
Merci Geoffroy !
L’APEDA participera au Grand Marché Logopédique (le 30/09/2023), au Festival Out of the Books (5 & 6/10/2023), au salon Reedukado (21/10/23) ) et à Ludovia#BE (du 1 au 3/11/23).
*Un pôle territorial est une structure attachée à une école d’enseignement spécialisé. Composé d’une équipe pluridisciplinaire spécialisée dans les troubles de l’apprentissage et/ou dans le soutien au handicap, le pôle territorial a pour objectif d’aider et d’accompagner les enfants à besoins spécifiques et leurs professeurs dans l’enseignement ordinaire, de la maternelle au secondaire.